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Impact de Saudi Aramco sur le changement climatique : analyse de la communication des experts ONU

Dans un monde de plus en plus conscient des conséquences dévastatrices du changement climatique, les entreprises du secteur énergétique sont de plus en plus scrutées sous le prisme de leur impact sur l’environnement et les droits de l’homme.


Récemment, les regards se sont tournés vers l’entreprise Saudi Aramco, la première entreprise mondiale en termes d’émissions de gaz à effet de serre, et les institutions financières qui la soutiennent, dont la Société Générale, ont été appelées à rendre des comptes par des experts des Nations-Unies.


Ainsi une communication a été émise dans le cadre du mandat des Rapporteurs spéciaux et Rapporteurs du groupe de travail du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, et elle soulève des questions cruciales quant à la responsabilité des entreprises et des institutions financières dans la lutte contre le changement climatique.


Le sujet de cette communication s’inscrit dans les discussions en cours au niveau de l’activité normative européenne. En 2021, le Parlement européen a invité la Commission européenne à proposer une « directive relative au devoir de vigilance des entreprises en matière de protection des droits de l’homme et de l’environnement ». Le 23 février 2022, sous présidence française du Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne a publié une proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité[1], dite Corporate sustainability due diligence directive ou « CSDD ».


Des négociations sont en cours devant les institutions européennes sur cette proposition et notamment sur la question de la soumission des opérations de financement et d’investissement aux obligations découlant de ce texte[2]. Si la proposition initiale de la Commission incluait le secteur financier dans la chaine de vigilance, le Conseil s’est accordé sur une inclusion facultative du secteur bancaire par les Etats membres lors de leur transposition du texte[3], à l’inverse du Parlement européen[4].


I - Sur la recherche de responsabilité de l’entreprise Saudi Aramco


En l’espèce, l’entreprise Saudi Aramco se classe au premier rang des entreprises émettrices de gaz à effet de serre. Les experts soulignent que l’entreprise doit prendre des mesures significatives pour réduire sa production de combustibles fossiles, étant donné que ses activités contribuent au changement climatique, qui a des répercussions graves sur les droits de l’homme à l’échelle mondiale.


L’Arabie saoudite, en tant que partie à l’Accord de Paris, a également des engagements à respecter en matière de réduction des émissions, et en ce sens l’entreprise Saudi Aramco pourrait compromettre ces engagements si elle ne prend pas des mesures adéquates.


A - Sur la prise en compte du facteur de vulnérabilité de l’Arabie Saoudite aux effets du changement climatique


Les experts semblent indiquer qu’une responsabilité particulière pourrait peser sur l’entreprise eu égard notamment à la vulnérabilité du Royaume d’Arabie saoudite face aux effets du changement climatique. Les auteurs de la communication tirent cette vulnérabilité de plusieurs études scientifiques qui alertent sur la fragilité des écosystèmes de la région du Golfe soumis à l’élévation du niveau de la mer, aux températures et à l’humidité élevées dont les niveaux futurs risquent de dépasser les capacités d'adaptation, et au risque de désertification causant des tempêtes de poussière et le déplacement des dunes.


Les experts ajoutent que la taille, le secteur, le contexte opérationnel, la propriété et la structure de l’entreprise sont autant de critères qui « suscitent une attente accrue quant à sa responsabilité au regard du droit international des droits humains ».


B - Sur la nécessité pour les entreprises de fournir un accès efficace et opportun à des informations environnementales exactes


Par ailleurs, les experts rappellent la responsabilité qui incombe aux entreprises de « fournir un accès efficace et opportun à des informations environnementales qui soient exactes ».


En l’espèce, Saudi Aramco se livrerait à la déformation et à la dissimulation d'informations environnementales essentielles. Les Rapporteurs visent ici la communication de l’entreprise qu’ils qualifient d’ « écoblanchiment » du fait de la présentation d’informations trompeuses comme le fait que le développement durable serait au cœur de sa stratégie commerciale. Ces pratiques sont prohibées en ce qu’elles « s'opposent à l'objectif de réduction de la dépendance et de la consommation de combustibles fossiles ».


Les mécanismes spéciaux font grief à l’entreprise de se targuer d’une production de pétrole brut à faible intensité de carbone sur la base d'un calcul des émissions de l'entreprise biaisé. Ces dissimulations d’informations environnementales essentielles pourraient, selon les experts, « entraîner une sous-estimation de sa contribution au changement climatique, ce qui pourrait à son tour exacerber les effets négatifs du changement climatique sur les droits humains ».


II - Sur la recherche de responsabilité des institutions financières


Les experts des nations unies ne se contentent pas de pointer du doigt Saudi Aramco.


En effet, selon les experts onusiens, la responsabilité de l’entreprises financière peut également être engagée dès lors qu’elle « ne prend pas de mesures pour prévenir ou atténuer la relation d'affaires à laquelle elle est directement liée, notamment en faisant preuve de diligence en matière de droits humains ».


En l’absence de « mesures raisonnables » prises par les entreprises financières, le financement changerait alors de degrés d’implication dans la survenance des violations des droits de l’homme, passant d’un simple « lien direct » à une réelle « contribution ». En d’autres termes, le simple fait de fournir des financements à des entreprises impliquées dans des activités néfastes pour l’environnement pourrait constituer une forme de contribution aux violations des droits de l’homme.


Les experts semblent vouloir profiter de la capacité d’influence de ces entreprises en leur imposant une responsabilité propre du fait de la destination de leur financement.


III - Les enseignements à retenir en matière de devoir de vigilance


La communication des experts des Nations Unies concernant Saudi Aramco et les institutions financières qui la soutiennent soulève plusieurs questions cruciales et offre des enseignements importants pour l’avenir.


A - Responsabilité particulière dans les pays vulnérable au changement climatique


L’identification d’une responsabilité particulière dans le cas de Saudi Aramco découle de la présence de cette entreprise polluante dans un pays vulnérable aux effets du changement climatique, en l’occurrence, l’Arabie saoudite.


Cette mise en évidence de la vulnérabilité des nations confrontées à des changements climatiques graves pose la question de la responsabilité des entreprises qui opèrent dans ces régions.


Elle renforce également l’idée que les entreprises doivent prendre en compte les impacts différenciés du changement climatique sur les droits de l’homme en fonction des contextes géographiques.


B - La confirmation d’une attente accrue en fonction de la taille et du secteur d’activités des entreprises


Les experts soulignent l’importance de prendre en compte divers critères pour évaluer la responsabilité des entreprises.


Outre la taille et le secteur, d’autres facteurs tels que le contexte opérationnel, la propriété et la structure de l’entreprise sont également pris en compte. Cela met en évidence la complexité de l’analyse de la responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme et de l’environnement.


Les enseignements à tirer sont que les approches « taille unique » ne sont pas adaptées et que chaque entreprise doit être évaluée en fonction de son contexte spécifique.


C - Obligation de fournir des informations environnementales précises


Les experts insistent sur l’importance pour les entreprises de fournir un accès efficace et opportun à des informations environnementales exactes. Cela met en évidence la nécessité d’une transparence accrue de la part des entreprises quant à leurs impacts environnementaux.


En ce sens, il est à saisir que la dissimulation ou la déformation d’informations environnementales essentielles peut avoir des conséquences graves sur les droits de l’homme et que la transparence est cruciale pour une gouvernance responsable.


D. Élargissement de la responsabilité aux entreprises financières


La communication des experts élargit la responsabilité aux entreprises financières qui soutiennent financièrement des activités violant les droits de l’homme. Cette démarche montre que les institutions financières ne peuvent plus se contenter de se dégager de toute responsabilité en invoquant simplement leur rôle de prestataires de fonds. Les enseignements sont clairs : les institutions financières doivent exercer une diligence raisonnable pour s’assurer que leurs financements ne contribuent pas à des violations des droits de l’homme et qu’elles peuvent être tenues responsables de leurs décisions de financement.


* * * *


En conclusion, la communication des experts des Nations Unies met en évidence l'interconnexion entre les activités des entreprises, le changement climatique et les droits de l'homme. Elle offre des enseignements importants pour le développement futur de la réglementation internationale et nationale en matière de responsabilité des entreprises. Il est de plus en plus clair que les entreprises et les institutions financières doivent prendre des mesures concrètes pour atténuer leur impact sur l'environnement et protéger les droits de l'homme, en particulier dans les régions vulnérables aux changements climatiques.



Élise Le Gall

Mathis Baubry

[1] Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937, 23 février 2022 (lien) [2] Voir Assemblée nationale, Rapport d’information déposé par la Commission des Affaire Européennes, 28 juin 2023, p. 33 (lien) [3] Orientation générale du Conseil sur la proposition de directive CSDD, 30 novembre 2022 (lien) [4] Amendements du Parlement européen à la proposition de directive CSDD, 1er juin 2022 (lien)

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