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La CPI peut-elle être saisie des exactions commises en Ukraine depuis le 24 février 2022 ?


You will find the English version of the article at the end of the document.


La Cour pénale internationale pourrait-elle être saisie de crimes de guerre ou crimes contre l’humanité présumés commis sur le territoire ukrainien ?


Le jeudi 24 février 2022, la fédération de Russie attaquait l’Ukraine après plusieurs semaines d’escalades et de tensions (ici). Alors que des bombardements, des tirs de roquettes, ou des attaques de missiles étaient déjà recensés, les organisations de défense des droits humains et du droit international humanitaire s’inquiétaient de l’impact de cette nouvelle phase du conflit sur les civils (ici, ici).

Le 25 février 2022, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) rappelait que la CPI pourrait exercer sa juridiction sur certains des crimes potentiellement commis sur le territoire ukrainien (ici), hors le crime d’agression, alors même que ni la Russie, ni l’Ukraine ne sont parties au Statut de Rome portant création de la CPI.


La reconnaissance par l’Ukraine de la compétence de la Cour pénale internationale


En effet, bien que l’Ukraine ne soit pas partie au Statut de Rome, elle a toutefois accepté la compétence de la CPI par deux déclarations déposées auprès du Greffe le 9 avril 2014 et le 8 septembre 2015. En application de l’article 12(3) du Statut de Rome, qui permet à un état qui n’est pas partie au Statut de Rome d’accepter l’exercice de la compétence de la CPI, ces déclarations reconnaissaient donc la compétence de la CPI pour tous les crimes qui auraient été commis sur le territoire ukrainien à partir respectivement du 21 novembre 2013 et du 20 février 2014, peu importe la nationalité de l’auteur. Comme cela a été avancé, le texte de la déclaration d’acceptation, bien qu’elle ait été initialement lancée suite aux événements de 2014 en Crimée et dans l’est de l’Ukraine, laisse penser que la CPI peut exercer sa compétence sur les crimes prétendument commis dans conflit actuel (ici).


À cet égard, il importe de noter que la situation en Ukraine a fait l’objet d’un examen préliminaire entre le 25 avril 2014 et le 11 décembre 2020. L’examen préliminaire portait initialement sur les éventuels crimes contre l’humanité « commis dans le cadre des manifestations de Maïdan qui ont eu lieu à Kiev et dans d’autres régions de l’Ukraine, entre le 12 novembre 2013 et le 22 février 2014 ». Il a ensuite été étendu à tous les « crimes présumés commis sur le territoire de l’Ukraine depuis le 20 février 2014 », jusqu’à ce qu’il soit clôturé le 11 décembre 2020. Au terme de cet examen préliminaire, la Procureure Fatou Bensouda avait conclu qu’il existait une « base raisonnable permettant de croire que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité avaient été commis ».


La nécessaire réunion de critères préalables à la saisine de la CPI


Pour la situation actuelle, il apparaît donc que les victimes de potentiels crimes de guerre ou crimes contre l’humanité commis en Ukraine au cours des offensives récentes par l’une ou l’autre des parties au conflit, pourraient espérer obtenir justice devant la CPI, une fois remplis les critères de gravité et de complémentarité permettant l’exercice de la compétence de la CPI.

S’agissant du critère de gravité, mentionné à l’article 53 du Statut de Rome et conditionnant l’ouverture d’une enquête, il est intéressant de noter que les juges de la CPI ont pu retenir que « 10 meurtres, 50-55 blessés et possiblement des centaines de cas d’atteintes à la dignité, de torture ou de traitements inhumains » peuvent être des indicateurs d’une gravité suffisante par la Chambre préliminaire (ici, para. 26 – notre traduction). Dès lors, il apparaît que la situation en Ukraine, notamment si les attaques se poursuivent, pourrait être considérée comme remplissant le critère de gravité.

S’agissant du critère de complémentarité, conformément à l’article 17 du Statut de Rome, la CPI n’a compétence pour juger des crimes commis sur le territoire d’un état partie, d’un état ayant accepté sa compétence ou en cas d’une situation référée par le Conseil de sécurité, que lorsque cet état ne veut pas ou ne peut pas mener à bien une enquête ou des poursuites. Dans le cas de la situation actuelle en Ukraine, rien n’indique, à ce jour, que l’Ukraine n’ait pas la volonté de poursuivre les potentiels auteurs/complices de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre, ni la capacité de le faire. Cette donnée est actuellement particulièrement floue dès lors qu’elle dépend de l’évolution du conflit et de son issue. Reste qu’au moment de la saisine de la CPI, cette question devra donc être pleinement étudiée afin de s’assurer de la peine compétence de la CPI.


Comment saisir la Cour pénale internationale ?


La CPI peut être saisie dans trois cas de figure :


  1. Le Conseil de sécurité de l’ONU, « agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies », peut déférer une situation au Procureur, même si les crimes sont survenus sur le territoire d’un état non-partie. En l’occurrence, la Russie étant membre du Conseil de sécurité et disposant d’un droit de véto, cette modalité semble être à exclure.

  2. Conformément à l’article 14 du Statut de Rome, « tout état partie peut déférer au Procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes relevant de la compétence de la Cour paraissent avoir été commis ». En l’espèce, à l’heure actuelle, il apparaît qu’aucun état partie n’ait déféré la situation en Ukraine au Procureur de la CPI, mais l’Ukraine elle-même a accepté la compétence de la Cour.

  3. Conformément à l’article 15 du Statut de Rome, le procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour. Lorsque qu’un état émet une déclaration d’acceptation, le Bureau du Procureur ouvre dans tous les cas un examen préliminaire (ici, para. 76), comme ce fut le cas avec l’Ukraine.

Pour les deux dernières situations, l’état sur le territoire duquel le comportement en cause a eu lieu ou l’état dont la personne accusée du crime est un ressortissant doit avoir accepté la compétence de la Cour, soit en ratifiant le statut, soit en déposant une déclaration de compétence, en application de l’article 12 du Statut de Rome. En l’espèce, l’Ukraine, état sur le territoire duquel les présumés crimes relevant de la compétence de la Cour pourraient éventuellement être commis, a accepté la compétence de la Cour.


Comment documenter un éventuel signalement qui serait portée devant la CPI par les populations civiles et ONG en soutien.


S’agissant de la récolte de preuve, il apparaît nécessaire de récolter tous types de preuves (autres que les témoignages directs) qui permettront de documenter et recenser les potentielles violations des droits de l’homme entrant sous le champ de compétence matérielle de la CPI (crimes de guerre, crimes contre l’humanité). Dans cette perspective, des organisations comme Bellingcat ont annoncé documenter et recenser les potentielles violations du droit international commises en Ukraine, en récoltant des vidéos, des photos ou encore des images satellites (ici).

De plus, il est important de noter que des applications comme eyeWitness qui ont pour objectif d’aider les victimes ou les témoins de violations du droit international à récolter et de stocker des images ou des vidéos des faits qu’ils pourraient souhaiter dénoncer tout en conservant la chaîne de contrôle et les métadonnées qui pourraient permettre plus tard d’assurer la fiabilité de ces documents. Cette application a notamment pour objectif la démonstration de l’authenticité des photos ou vidéos devant les tribunaux afin qu’elles puissent servir comme élément de preuve (voir à ce sujet D’ALLESSANDRA F., SUTHERLAND K., « The Promises and Challenges of New Actors and New Technologies in International Justice », Journal of International Criminal Justice, 19(1) 2021, pp.9-34, ici).

Dès lors, il apparaît que la CPI pourrait constituer un forum approprié afin que les auteurs de potentiels crimes de guerre ou crimes contre l’humanité, de quelque partie qu’ils soient, qui seraient commis en Ukraine lors des attaques lancées depuis le 24 février 2022 soit jugés et que les victimes potentielles obtiennent justice.


ENGLISH VERSION


Could the International Criminal Court have jurisdiction over alleged war crimes or crimes against humanity committed on Ukrainian territory?


On Thursday 24 February 2022, the Russian Federation attacked Ukraine after several weeks of tensions and escalation (here). While bombings, rocket and missile attacks were already reported, human rights organisations expressed their concerns as regards the consequences of this new phase of the conflict on civilians (here in French, here).


On 25 February 2022, the Prosecutor of the International Criminal Court (ICC) reminded that the ICC could exercise its jurisdiction over crimes allegedly committed on the territory of Ukraine (here), except the crime of aggression, even though neither Russia, nor Ukraine are state parties to the Rome Statute creating the ICC.


Ukraine’s recognition of the jurisdiction of the International Criminal Court


As a matter of that, although Ukraine is not a state party to the Rome Statute, it still accepted the jurisdiction of the Court pursuant to two declarations lodged on 9 April 2014 and 8 September 2015. Under article 12(3) of the Rome Statute, which allows a state that is not a party to the Rome Statute to accept the exercise of jurisdiction by the ICC, these declarations acknowledged the jurisdiction of the ICC for all crimes allegedly committed on the territory of Ukraine from respectively 21 November 2013 and 20 February 2014 onwards, regardless of the nationality of the perpetrator. As has been argued, the text of the declaration of acceptance, although initially launched following the 2014 events in Crimea and eastern Ukraine, suggests that the ICC can exercise jurisdiction over crimes allegedly committed in the current conflict (here).


In this regard, it must be noted that ICC completed a preliminary examination of the situation in Ukraine between 25 April 2004 and 11 December 2020. The preliminary examination initially focused on possible crimes against humanity “committed in the context of the Maidan protests which took place in Kyiv and other regions of Ukraine between, 12 November 2013 and 22 February 2014”. It was then extended to all “alleged crimes committed on the territory of Ukraine from 20 February 2014 onwards”, until it was closed on 11 December 2020. At the end of the preliminary examination, Prosecutor Fatou Bensouda concluded that there was a “reasonable basis to believe that war crimes and crimes against humanity were committed”.


Meeting the criteria for referral to the ICC


In the case at hand, it therefore appears that victims of potential war crimes or crimes against humanity committed in Ukraine during the recent offensives by one or other of the parties to the conflict could hope to obtain justice before the ICC, once the criteria of gravity and complementarity allowing the ICC to exercise jurisdiction have been met.

With regard to the gravity criterion, mentioned in Article 53 of the Rome Statute and conditioning the opening of an investigation, it is interesting to note that the ICC judges were able to retain that “ten killings, 50-55 injuries, and possibly hundreds of instances of outrages upon personal dignity, or torture or inhuman treatment” may be indicators of sufficient gravity by the Pre-Trial Chamber (here, para. 26). Therefore, it appears that the situation in Ukraine, especially if the attacks continue, could be considered as fulfilling the gravity criterion.


With regard to the complementarity criterion, according to Article 17 of the Rome Statute, the ICC only has jurisdiction over crimes committed in the territory of a State Party, a State that has accepted its jurisdiction or in a situation referred by the Security Council, when that State is unwilling or unable to carry out an investigation or prosecution. In the case of the current situation in Ukraine, there is no indication to date that Ukraine is unwilling or unable to prosecute potential perpetrators/accomplices of crimes against humanity or war crimes. This is currently particularly unclear as it depends on the evolution of the conflict and its outcome. However, at the time of referral to the ICC, this issue should be fully considered in order to ensure that the ICC has jurisdiction.


How to refer a case to the International Criminal Court?


A case can be referred to the ICC in three situations:

  1. The UN Security Council, “acting under Chapter VII of the Charter of the United Nations”, can refer a situation to the Prosecutor, even if the crimes occurred on the territory of a non-State Party. In this case, Russia being a member of the Security Council and having a veto right, this modality seems to be excluded.

  2. According to Article 14 of the Rome Statute, “a State Party may refer to the Prosecutor a situation in which one or more crimes within the jurisdiction of the Court appear to have been committed”. In the present case, it appears that no State Party has referred the situation in Ukraine to the ICC Prosecutor, but Ukraine itself has accepted the jurisdiction of the Court.

  3. In accordance with Article 15 of the Rome Statute, the Prosecutor may initiate an investigation on his or her own initiative on the basis of information concerning crimes within the jurisdiction of the Court. When a State issues a declaration of acceptance, the Office of the Prosecutor shall in all cases initiate a preliminary examination (here, para. 76), as was the case with Ukraine.

For the latter two situations, the State on whose territory the conduct in question took place or the State of which the person accused of the crime is a national must have accepted the jurisdiction of the Court, either by ratifying the Statute or by lodging a declaration of jurisdiction, pursuant to Article 12 of the Rome Statute. In the present case, Ukraine, the State on whose territory the alleged crimes within the jurisdiction of the Court could possibly be committed, has accepted the jurisdiction of the Court.


How to document a possible report that would be brought to the ICC by the civilian population and supporting NGOs


With regard to the collection of evidence, it appears necessary to collect all types of evidence (other than direct testimony) that will make it possible to document and identify potential human rights violations falling within the ICC’s material jurisdiction (war crimes, crimes against humanity). In this perspective, organisations such as Bellingcat have announced documenting and listing alleged violations of international committed in Ukraine, by collecting videos, photos or satellite images (here).


In addition, it is important to note that applications such as eyeWitness aim at helping victims or witnesses of international law violations collecting and storing images or videos of the alleged crimes they may wish to report while preserving the chain of custody and metadata that could later ensure the reliability of these documents. One of the objectives of this application is to demonstrate the authenticity of photos or videos in court so that they can be used as evidence in trials (see D’ALLESSANDRA F., SUTHERLAND K., “The Promises and Challenges of New Actors and New Technologies in International Justice”, Journal of International Criminal Justice, 19(1) 2021, pp.9-34, here).


Therefore, it appears that the ICC could provide an appropriate forum for the perpetrators of potential war crimes or crimes against humanity, from whatever party, committed in Ukraine during the attacks launched since 24 February 2022 to be tried and for potential victims to obtain justice.



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